Change Waka and His Man Sawa Boy. [Théâtre]. Yaoundé, Éditions CLE, 2001, 65 p.
Reviewed by Pierre FANDIO
Bate Besong n’est pas à proprement parler un inconnu de l’émergente littérature camerounaise d’expression anglaise. En effet, il est auteur d’un ensemble de poèmes et de pièces de théâtre. Si sa poésie reste confinée dans quelques journaux et revues, son théâtre se décline en des textes disponibles en librairie tandis que certaines de ses pièces ont connu un certain succès en représentation. Ses publications comprennent ainsi, entre autres, Beasts of no Nation (1991), Requiem for the last Kaiser (1991), The Banquet (1994), Just above Cameroon (1998), etc.
Mais sans doute parce que tous ces textes sont publiés à compte d’auteur, leur diffusion reste extrêmement limitée tandis qu’une certaine suspicion pèse sur leur qualité esthétique, bien que le ANA Literature Drama Prize ait consacré l’auteur en 1992. De plus, le fait que l’auteur prenne la plume dans le contexte d’une littérature camerounaise d’expression anglaise à la recherche de ses marques n’est pas un moindre handicap.
Change Waka and His Man Sawa Boy est constitué de deux tableaux d’inégales longueurs comprenant chacun un titre : « The boy is goo-oo-ood ! » (43 p.) et « Apostasy (when Gknockor Gknockor smiles, be extra careful » (14 p.). La pièce met en scène un simulacre de consultations électorales. Dans l’Epeng Ebho, comme dans de nombreuses « démocraties » africaines des années 90, les résultats des élections sont connus avant la date du vote. Tout est ici mis en œuvre pour que l’alternance annoncée par Son Excellence Impériale Gknockor Gknockor demeure à jamais une promesse. En un mot, Bate Besong « relit » ce que Tchicaya U Tam’Si appela les « farces sinistres » qui constituent la vie politique des « démocraties tropicales ». Ce qui confère un air de « déjà vu » ou de «déjà entendu » à l’action. Le mélange de code linguistique et l’onomastique confortent d’ailleurs cette impression en inscrivant la pièce dans le vécu immédiat des compatriotes du dramaturge. Point n’est ainsi besoin d’être un spécialiste de l’histoire du Cameroun par exemple pour savoir à quels référents historiques renvoient les agents de l’histoire tels que Andze (manipulator, election rigger » (p. 64), Maigari Yerima Tree « inconcistent politician, confusionist (p. 65), Essingan (p. 65), etc. De même, que « Sous-préfets », « Monsieur le Comminsaire » et d’autres titres ou fonctions administratives ou politiques soient présents dans le corps de la pièce en français, exprime chez Bate Besong, comme chez tant d’autres écrivains camerounais d’expression anglaise, le malaise qui imprègne la gestion du double héritage culturel anglais et français en post-colonie camerounaise. En outre, dans la première partie, quelques dialogues sont atones, des tirades parfois trop longues (p. 22-25), alors que les répliques, elles, sont plutôt peu nombreuses. Ce qui diminue l’épaisseur dramatique.
Toutefois, la pièce est assez bien construite dans l’ensemble. Une étude anthroponymique et toponymique serait d’un grand intérêt. Ainsi, si l’action des personnages comme Andze et Maigari semble cadrer avec leurs référents historiques, il est intéressant de constater que Sesekou (Mobutu Sese (so)ko ?) par exemple, se détache nettement de l’homme politique de triste mémoire ; tandis que certaines étiquettes nominales sont plus fortement motivées encore. Pour se limiter à quelques cas seulement, le nom du personnage « Change » signifie « changement » ou « changer », alors que « Nobody », lui, veut dire « personne ». Nom, « Sawa » désigne un(e) ressortissant(e) de la côte alors que, adjectif en pidjin-english (parlé au Cameroun), il signifie « corrompu » ou « faisandé »… Sur le plan thématique, la dernière pièce de Bate Besong, sans doute mieux que les autres, se situe au-delà de la traditionnelle opposition manichéenne et simpliste francophone vs anglophone que l’on retrouve dans nombre de discours littéraires anglophones camerounais. Change Waka and His Man Sawa Boy pose en réalité et avec une certaine lucidité le problème d’un ensemble de communautés africaines érigées sans doute trop vite en État et qui, un demi-siècle après, sont toujours en quête d’une nation et d’une identité introuvables. Ce premier texte publié chez un éditeur institué, en dépit de nombreux errements typographiques imputables à CLE (« frére » au lieu de « frère » ; « bién » pour « bien », « couvré-feu » pour « couvre-feu », etc.), devrait sans doute rendre justice à ce dramaturge qui ne manque pas nécessairement de talent.
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